Je me laisse tomber sur une des chaises de la cafétéria vide, sans énergie. Le bruit de la chaise qui grince contre le sol se répercute entre les murs de cette pièce aussi écoeurante que le reste du bâtiment ne me tire même pas mon habituel rictus. Je n’ai plus la force. Plus l’envie. J’ai l’impression d’être morte pendant des heures. Et même si le cauchemar est fini, je n’arrive plus à sortir la tête de l’eau. Je suis dévastée.
Les larmes coulent sur mon visage d’un seul coup, sans que je ne puisse le prévoir. Il faut dire que pendant ces 8h d’affilées passer à son chevet, je n’ai pas réussi à pleurer une seule fois. J’attendais juste la nouvelle, je savais qu’elle m’acheverait. Les médecins aussi attendaient de devoir me le dire. « Votre père est mort, son coeur a lâché. » Mais non, papa est encore dans son lit et ses constantes sont remontées à la normale, comme s’il n’avait pas été plus proche de la mort que hier.
J’essuie rageusement mes yeux, avec la sensation que je deviens une loque, encore plus faible que d’habitude. Je devrais m’en foutre, je devrais repartir continuer mes activités et honorer le contrat que j’avais ce soir. Mais je suis dans cette cafétéria désinfectée 5 fois par jour qui me donne envie de vomir.

Je me relève d’un bond, avec un grondement de rage. Ma chaise vole en arrière et vient s’écraser sur le sol dans un bruit qui m’éclate les oreilles. Sans réfléchir je sors une clope de mon paquet entamé et l’allume. Ensuite, quand la fumée s’échappe de mes lèvres, je me décide à aller me coller à une fenêtre que j’ouvre pour inspirer une longue bouffée de nicotine.

Je ne sais pas à quoi je ressemble, mais je sais qu’à l’intérieur le chaos est total. Je suis perdue entre la peur qui m’a éclaté le ventre quand l’hôpital m’a appelé en urgence et cette attente insoutenable qui a fait fondre mes nerfs. Je suis un bouillon dégueulasse de sentiments infectes. Je suis en colère et terrifiée… Je me sens seule…
Sur un coup de tête, j’attrape mon téléphone et regarde les contacts. Je n’ai personne. Personne à appeler ou à prévenir. Personne pour m’écouter ou me rassurer. Pour me changer les idées. J’ignore le sms bourré d’insultes et de remontrances pour mon absence ce soir et j’entame une autre cigarette.
Je suis une bonne à rien.