| Ca aurait pu être pire. Ciel qu’il déteste son monde. On prie et on se lève tôt le dimanche mais on tue et on saigne le reste de la semaine. On lui dit que tant qu’on demande pardon, ça ira, qu’on sera expié, mais c’est trop simple. Le sang lui colle à la peau, les aboiements résonnent constamment dans son crâne. Comment font-ils, les autres, pour vivre avec ça ? Il pensait qu’il s’y ferait avec le temps, qu’il allait s’endurcir ; après tout il né là-dedans, il n’a rien connu d’autre. Mais rien n’y fait, à chaque fois qu’il faut en abattre un il a les mains qui tremblent, la gorge qui se serre, les larmes qui coulent. C’est dur. Ça lui prend un temps fou. Il ne devrait pas s’y attacher, et pourtant. Ça passera, avec le temps. lui dit son père, une main sur son épaule. Et puis ça pourrait être pire. Il dit toujours ça, Papa. Au fond c’est vrai, il aurait pu naître dans la maison d’à côté où l’on ignore ce qu’il advient des enfants. Ici au moins, il a des parents qui l’aiment, qui s’occupent de lui et qui n’ont pas prévu de le laisser tomber. Des raclures, mais des parents que Billie ne voudrait échanger contre rien au monde.
Il ne reviendra jamais pour toi. Il est parti, il a refait sa vie ailleurs, a pensé qu’il était trop bien pour leur famille. Il a abandonné Billie, mais il lui a promis qu’il reviendrait le chercher. Ca fait quatre ans, parfois il reçoit un sms. Il rayonne tellement lorsqu’il voit «Big Bro» affiché sur l’écran de son téléphone. Il s’attend toujours à avoir une date, un jour où il viendrait enfin le chercher, mais Billie est déçu à chaque fois. Un petit mot, un «j’espère que tu vas bien», une photo de son gosse, de sa femme, de leurs dernières vacances. Ce fait mal, ça le rend jaloux, il le déteste pendant quelques minutes. Et puis ça passe. Billie continue à y croire. Son grand frère viendra le chercher un de ces jours, le sortir de là, il lui a promis après tout. On tient toujours ses promesses, entre frères.
Un accident. Mais un accident heureux. Deux enfants, ça semblait beaucoup de travail, surtout qu’ils étaient sortis des couches depuis un moment. Mais parfois des choses arrivent, Billie en l’occurence. Une fois que la chose était faite, ils on commencé à en voir les avantages. Si le premier se faisait descendre jeune ou décidait de déserter, ils auraient un remplaçant, quelqu’un d’autre à qui refiler le business familial quand ils ne pourraient plus s’en occuper. Et ils avaient vu juste, avec le premier de la fratrie qui s’est barré dès qu’il a pu, ils auraient été bien embêtés sans un nouvel héritier. Ah, c’est peut-être pour ça qu’ils s’occupent aussi bien de Billie, qu’ils disent que c’est leur préféré des deux. C’est pour assurer leurs arrières. Ils l’ont fait mou, malléable, incapable de leur dit non et de briser la relation de «confiance» qu’ils ont bâti. Il est parfait celui-là. Fabriqué exactement à leur image, mais faudra penser à l’endurcir un de ces quatre.
A l’aide. Dix-huit ans, et rien. On tourne en rond. Ça rêve d’escapade enfermé entre les quatre murs de sa chambre. Chaque année il se dit «l’année prochaine». Il pense que sa situation changera, mais il est aveugle. Il fait tellement confiance à ceux qui le nourrissent qu’il n’en voit pas les vices. Les billets qu’il amasse grâce aux paris, s’il n’en gagne pas une seule part, c’est pas parce que ses parents en ont besoin. C’est parce qu’ils ne veulent pas refaire la même erreur. C’est un chien comme un autre, en cage, dressé par ses maître pour qu’il n’obéisse qu’à eux et à eux seuls, avec les mêmes récompenses et les mêmes punitions. Un «good boy» ou un coup de poing dans la tronche. On rêve à mieux, mais on ne fait rien pour s’en sortir, on se trouve toujours des excuses et on regarde toujours en arrière quand on est prêt à monter dans le bus. Sa route est blindée de demi-tours, d’échecs et d’actes manqués. Il est à deux doigts d’abandonner et d’embrasser la vie que ses parents ont décidé pour lui. Au fond, si tout rate à chaque fois, c’est peut-être parce qu’il n’est pas destiné à mieux, se dit-il. Peut-être qu’il voué à vivre et à crever là. Peut-être est-ce la punition pour ses crimes. Ça lui semble logique, et ça n’aide en rien. |